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Une autruche vivait aux abords du village.
Elle avait de tout temps réfréné ses passions.
Elle n'osait trop parler, craignant que son ramage
Ne paraisse au seigneur un signe d'agression.
Elle avait retenu les leçons de son père
Qui avait toujours dit et répété souvent
Qu'au lieu de s'exprimer il vaut bien mieux se taire
Pour ne pas dévoiler ses réels sentiments.Elle vivotait donc sur son lopin de terre
Sans réflexion profonde, sans aucune ambition,
Car aux puissants du monde il ne faut pas déplaire
Pour ne pas s'exposer à leur malédiction.Parfois elle rencontrait, dehors, quelque voisine
Avec qui elle parlait de la pluie et du temps,
Sujets sans importance, paroles anodines,
Dont on se satisfait sans aller plus avant.Pourtant elle songeait que pendant sa jeunesse
Elle avait présumé des lendemains glorieux.
Mais sans aucun courage et par pure paresse,
Elle avait pris le pli transmis par ses aïeux:
"Il ne faut surtout pas que dans ton voisinage
On puisse imaginer que tu as de l'ambition.Continue à voter comme ton entourage,
Sans jamais proférer la moindre réflexion.
Tu pourras de ce fait jouir des privilèges
Que sait distribuer le tenant du pouvoir.
Trop le mécontenter paraîtrait sacrilège,
Et tu risquerais fort de ne rien recevoir".Notre discrète autruche avait mis en pratique
Ces conseils vertueux sans les mettre en question,
Car il est mal perçu de parler politique
Quand on a accepté de faire soumission.Jamais on n'avait vu un signe de révolte
Chez notre volatile résigné à son sort.
Elle se contentait de si maigres récoltes,
Qu'elle en avait perdu jusqu'au goût de l'effort.Les qualités qu'elle a, désormais elle les cache
Pour ne pas irriter les roitelets locaux.
Éviter de parler sur des sujets qui fâchent
C'est le lot quotidien des piètres animaux.L'autruche est ainsi faite. Son manque de hardiesse
La pousse à se cacher, à taire ses propos.
La tête dans le sable elle expose ses fesses
Et peut subir alors des puissants les assauts.
Dès lors il est trop tard pour crier sa souffrance
Pour celui qui subit de telles avanies.
Les maîtres agiront sans aucune décence
Et l'outrage infligé restera impuni.
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