• Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier

     LE MENUISIER   -   Émile VERHAEREN    (1855 - 1916)

    musique : Les mains d'or de Bernard Lavilliers

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier

    Le menuisier du vieux savoir
    Fait des cercles et des carrés,
    Tenacement, pour démontrer

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier

    Comment l'âme doit concevoir
    Les lois indubitables et fécondes
    Qui sont la règle et la clarté du monde.

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier 

    ---

    A son enseigne, au coin du bourg, là-bas,
    Les branches d'or d'un grand compas
    - Comme un blason, sur sa maison -
    Semblent deux rais pris au soleil.

    ---

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier

    Le menuisier construit ses appareils
    - Tas d'algèbres en des ténèbres -
    Avec des mains prestes et nettes

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier

    Et des regards, sous ses lunettes,
    Aigus et droits, sur son travail
    Tout en détails.

    ---

    J’ai vu le menuisier  

    Tirer parti du bois.

    Ses fenêtres à gros barreaux
    Ne voient le ciel que par petits carreaux ;
    Et sa boutique, autant que lui,
    Est vieille et vit d'ennui.

    ---

    J’ai vu le menuisier

    Il est l'homme de l'habitude
    Qu'en son cerveau tissa l'étude,
    Au long des temps de ses cent ans
    Monotones et végétants.

    ---

    Comparer plusieurs planches.

    Grâce à de pauvres mécaniques
    Et des signes talismaniques
    Et des cônes de bois et des segments de cuivre

    J’ai vu le menuisier

    Et le texte d'un pieux livre
    Traçant, la croix, par au travers,
    Le menuisier dit l'univers.

    ---

    Caresser la plus belle.

    Matin et soir, il a peiné
    Les yeux vieillots, l'esprit cerné,
    Imaginant des coins et des annexes

    J’ai vu le menuisier

    Et des ressorts malicieux
    A son travail chinoisement complexe,
    Où, sur le faîte, il dressa Dieu.

    ---

    Approcher le rabot.

    Il rabote ses arguments
    Et taille en deux toutes répliques
    Et ses raisons hyperboliques
    Trouent la nuit d'or des firmaments.

    ---

    J’ai vu le menuisier

    Il explique, par des sentences,
    Le problème des existences
    Et discute sur la substance.

    ---

    Donner la juste forme.

    Il s'éblouit du grand mystère,
    Lui donne un nom complémentaire
    Et croit avoir instruit la terre.

    ---

    Tu chantais, menuisier,

    Il est le maître en controverses,
    L'esprit humain qu'il bouleverse,
    Il l'a coupé en facultés adverses,

    En assemblant l’armoire.

    Et fourre l'homme qu'il étrique,
    A coups de preuves excentriques,
    En son système symétrique.

    ---

    Je garde ton image  

    Avec l’odeur du bois.

    Le menuisier a pour voisins
    Le curé et le médecin
    Qui ramassent, en ses travaux pourtant irréductibles,
    Chacun pour soi, des arguments incompatibles.

    ---

    Moi, j’assemble des mots

    Ses scrupules n'ont rien laissé
    D'impossible, qu'il n'ait casé,
    D'après un morne rigorisme,
    En ses tiroirs de syllogismes.

    ---

    Et c’est un peu pareil.

    Ses plus graves et assidus clients ?
    Les gens branlants, les gens bêlants
    Qui achètent leur viatique,
    Pour quelques sous, dans sa boutique.

    ---

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier 

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier

    Il vit de son enseigne, au coin du bourg,
    - Biseaux dorés et compas lourd -
    Et n'écoute que l'aigre serinette,
    A sa porte, de la sonnette.

    ---

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier

    Il a taillé, limé, sculpté
    Une science d'entêté,
    Une science de paroisse,
    ans lumière, ni sans angoisse.

    ---

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier

    Si bien qu'au jour qu'il s'en ira
    Son appareil se cassera ;

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier

    Et ses enfants feront leur jouet,
    De cette éternité qu'il avait faite,
    A coups d'équerre et de réglette.

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier

    Dans l'atelier de mon oncle, menuisier-charpentier

    texte caché : J'ai vu le menuisier de Egène Guillevic

     

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  • Commentaires

    2
    Mercredi 18 Septembre à 09:34

    C'est un lieu magique pour quiconque pousse la porte

    1
    Elod
    Mercredi 18 Septembre à 09:16
    Très beau ! Pleins de souvenirs.
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