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Valence, 7 avril 2023.
Vous savez, je vous l'ai dit souvent, j'aime les fleuves.
Les fleuves charrient les idées aussi bien que les marchandises. Tout a son rôle magnifique dans la création. Les fleuves, comme d'immenses clairons, chantent à l'océan la beauté de la terre, la culture des champs, la splendeur des villes et la gloire des hommes.
Et, je vous l'ai dit aussi, entre tous les fleuves, j'aime le Rhône. La première fois que j'ai vu le Rhône, c'était il y a longtemps, à l'Ile Blanc, en passant le pont de bateaux. La nuit tombait, la voiture allait au pas.
Je me souviens que j'éprouvai alors un certain respect en traversant le vieux fleuve. J'avais envie de le voir depuis longtemps. Ce n'est jamais sans émotion que j'entre en communication, j'ai presque dit en communion, avec ces grandes choses de la nature qui sont aussi de grandes choses dans l'histoire.
Ajoutez à cela que les objets les plus disparates me présentent, je ne sais pourquoi, des affinités et des harmonies étranges. Vous souvenez-vous, mon ami, du Rhin à la Lauter ? - Nous l'avons vu ensemble en 1982, dans ce doux voyage du Léman qui est un des souvenirs lumineux de ma vie. Nous avions alors vingt ans ! -
Vous rappelez-vous avec quel cri de rage, avec quel rugissement féroce le Rhône se précipitait dans le gouffre, pendant que le frêle pont de bois tremblait sous nos pieds ? Eh bien, depuis ce temps-là, le Rhône éveillait dans mon esprit l'idée du tigre, le Rhône y éveillait l'idée du lion.
Ce soir-là, quand je vis le Rhône pour la première fois, cette idée ne se dérangea pas. Je contemplai longtemps ce fier et noble fleuve, violent, mais sans fureur ; sauvage, mais majestueux. Il était enflé et magnifique au moment où je le traversais.
Il essuyait aux bateaux du pont sa crinière fauve, sa barbe limoneuse, comme dit Boileau. Ses deux rives se perdaient dans le crépuscule. Son bruit était un rugissement puissant et paisible. Je lui trouvais quelque chose de la grande mer.
Oui, mon ami, c'est un noble fleuve, féodal, républicain, impérial, digne d'être à la fois français et suisse. Il y a toute l'histoire de l'Europe considérée sous ses deux grands aspects, dans ce fleuve des guerriers et des penseurs, dans cette vague superbe qui fait bondir la France, dans ce murmure profond qui fait rêver le Valais.
Le Rhône réunit tout. Le Rhône est rapide comme le Rhin, large comme la Loire, encaissé comme la Meuse, tortueux comme la Seine, limpide et vert comme la Somme, historique comme le Tibre, royal comme le Danube, mystérieux comme le Nil, pailleté d'or comme un fleuve d'Amérique, couvert de fables et de fantômes comme un fleuve d'Asie
Adaptation du texte de Victor Hugo, Le Rhin, lettres à un ami, Lettre XV, XXXIII et XXXVIII
Le poème caché est de Jacques DEPLACE, humaniste ardéchois et fier de l'être
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