chez COCO CHAPELLE, on y trouve :

 LE TISSU

par Jules CANONGE

 

--- A UNE AMIE --- 

   

Dans notre amitié, nous avions, Madame,

 Combiné si bien la soie avec l'or

 Et si bien croisé la chaîne et la trame,

 Que tout paraissait devoir, pour notre âme,

 La développer, l'affermir encor. 

       

Par la poésie elle fut brodée,

Comme si la main du sylphe Ariel

De perle et de fleur l'avait inondée ;

Et de fins rubans nous l'avions bordée,

Verts comme l'espoir, bleus comme le ciel. 

       

Chacun l'admirait, l'enviait sans doute,

Quand nous l'étalions fiers et triomphants;

 Et nul ne songeait à ce qu'il en coûte

 De voir, avant d'être au bout de la route,

 Pâlir tant de fleurs et tant de rubans. 

        

Nous l'avions peut-être un peu trop tendue;

 Voilà que ses fils vont se désunir ;

 La chaîne affablie est presque rompue ;

 Plus d'un lambeau flotte et pend dans la nue,

 Malgré nos efforts pour le retenir, 

       

 Tantôt par un bout, tantôt par un autre,

 Chacun de nous tire, ou veut raccourcir ;

 Doit-on accuser ma main ou la vôtre ?

 Le sort du tissu sera-t-il le nôtre ?

 Problème affligeant qu'il faut éclaircir. 

        

Les méchants diront (Ah! laissons les faire!) '

 Que cette amitié c'était de l'amour;

 Nous dont le cœur pur sait bien le contraire,

 Ensemble cherchons la clef du mystère

 Et ne craignons pas d'y porter le jour : 

       

Il est donc trop vrai, dans l'amitié même

Peut se rencontrer un fatal moment

 Où l'on voit pâlir, trembler ce qu'on aime,

 Où, ce qu'on savait devenant problème,

 Ce qui fut repos n'est plus que tourment. 

        

En cherchant les torts, dans notre mémoire,

 Nous y trouverons chacun notre part ;

 L'un aura douté quand il fallait croire ;

 L'autre aura versé quelque amer déboire

 En voulant offrir un calme nectar... 

       

 Ah ! si de l'amour la trame se brise.

 Celle d'amitié jamais ne se rompt ;

 Elle peut, un jour, frémir sous la bise,

 Mais bientôt viendra la céleste brise !

 Les fils ébranlés se raffermiront !  

       

Respirons-les donc avec confiance

 Ces fleurs que broda la main d'Ariel,

 Loin d'être achevé le tissu commence,

 Et, sur notre front, dans l'air se balance

 Vert comme l'espoir, bleu comme le ciel ?